Mon Amour de l'An 2000 Georges Réveillac

 

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Chapitre 1

Le Parcours Initiatique du Mâle Solitaire

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(Si tu rencontres « Mômmanh », « existence », « besoin d'existence », va voir au chapitre 2)

Venait-elle des contes de fées, cette magique conviction, laquelle s'accroche encore à mon être par tant de racines vivaces et que je me garderai bien désormais de détruire puisqu'en fin de compte elle m'a porté bonheur, conviction qui pourtant m'a valu une affligeante suite de déboires sentimentaux, qui m'a empêché de consommer l'amour avant un âge avancé et m'a entraîné à déverser le trop-plein de mon énergie dans le ventre de celles qui, à Dakar, présentent ainsi leur commerce : « Je fais boutique-mon-cul », qui, enfin, si je n'y avais pris garde, m'aurait certainement conduit à des soulagements solitaires encore plus minables, branlettes et ersatz d'amour issus de fantasmatiques rêves aphrodisiaques ?

Quelle conviction ?

Aussi loin que remontent mes souvenirs, j'ai toujours vu les belles créatures de l'autre sexe, adolescentes, jeunes filles ou femmes, comme des fées. Oui, « fées » est le mot qui approche au plus près ma vision des beautés féminines. En d'autres temps je les aurais, sans hésiter, qualifiées de « divines ». A notre époque, je n'ose plus croire que la beauté soit d'essence divine. Et pourtant ?

Alors, puisque les femmes me paraissaient porteuses d'un merveilleux surnaturel, comment aurais-je pu, moi, simple humain pétri de boue et perclus d'imperfections, m'arracher à la gangue dont je suis fait, m'envoler vers l'infini et boire le lait des immortelles ? Pour être accueilli sur le sein d'une fée, je ne voyais qu'un moyen : pratiquer la seule magie dont je sois capable, celle du Verbe. Ayant ainsi, par la beauté du langage, créé vaillamment ma part d'immortalité, j'aurais gagné une place d'égal dans le harem des éternelles.

Cependant, je n'étais pas complètement idiot, ou alors je le suis toujours. Les femmes sont faites de chair, comme vous et moi : je le sais bien et c'est ce que je ressens ordinairement. Pourtant, il arrive de temps à autre que l'une d'elles échappe au sort commun. A sa vue, toute idée de bouton sur le visage, de plaie, de maladie, de vieillissement paraît incongrue. Pire : une idée de ce genre a des allures de blasphème.

Celle qui vient d'apparaître, elle est belle et je la suivrais partout. Mais sa beauté a tant de valeur à mes yeux que je me sens indigne de la posséder, ne fût-ce qu'un petit moment. C'est tout.

Aux belles dont je rêvais, j'écrivais donc des lettres exaltées. Les mots divins auraient dû les faire languir de félicités nouvelles que moi seul pouvais leur dispenser. L'une au moins de ces fées, la moins « con » pensais-je parfois, car je n'étais pas très futé à cette époque, aurait dû entendre mon chant et ressentir l'irrésistible besoin de boire à sa source. Ensemble, nous aurions dû nous étendre sur un tapis de mousses, parmi les violettes, près de la fontaine, caressés par les doux rayons du soleil, notre invité, et loués par le chant des oiseaux. Là, elle m'aurait dévoilé toutes les splendeurs que le commun des mortels ne doit pas voir et, ensemble, nous aurions embarqué pour le grand mystère, voyage sans retour où tout nous aurait été donné, instant définitif où nous aurions pris notre envol par les barreaux descellés de nos humaines prisons et découvert que l'univers infini nous est donné, contre toute désespérance et malgré les mortelles imperfections qui assaillent notre vie terrienne.

Hélas ! Jamais cela n'a marché. Pire ! Que toute beauté soit de nature divine, surtout quand elle est portée par une femme, mes copains n'en avaient qu'une conscience vraiment très vague, une vacillante et pâle ébauche de conscience, mes copains qui, entre nous, poussaient l'irrespect - ou l'ignorance - jusqu'à les appeler « pisseuses, pouffiasses » ou encore grognasses, mes copains quand même, obtenaient malgré tout et parfois aisément ce que je désirais tant : ils baisaient ! pendant que je continuais à soupirer entre deux crises de délire épistolaire. Quand ils voulaient être gentils, ils m'appelaient « Poète » et ils me donnaient de bons conseils pour qu'enfin je pusse parvenir à mes fins, à d'autres moments, découragés dans leur entreprise secourable par ma mauvaise volonté d'obstiné rêveur, ils m'affublaient d'un sobriquet dérisoire : « Pouett-Pouett !... »

Dans un cas comme dans l'autre, je n'étais pas plus avancé. Il arrivait même qu'ils fissent de leurs prouesses amoureuses des récits très réalistes où le merveilleux se trouvait massacré par des traits nauséabonds du genre : « Elle baise bien... mais qu'est-ce qu'elle pue la salope ! »

Maintenant, je crois qu'eux aussi percevaient le caractère surnaturel de la beauté. Cependant, ils n'étaient pas encore disposés à faire de l'amour charnel un sacrement. Elle était pourtant déjà bien érodée, l'ancienne conviction monstrueuse selon laquelle le coït est dangereusement impur, mais il en subsistait l'idée qu'à tout le moins c'est un acte sale. Or, tu sais que les hommes, à l'opposé des femmes, n'ont pas besoin d'être amoureux pour éprouver un violent désir ; tu sais aussi que les tenaille le besoin quasi permanent d'introduire leur semence dans n'importe quel vagin pourvu que sa propriétaire appartienne à la grande masse des « baisables ». C'est pourquoi cette vieille superstition arrangeait bien mes copains. En effet, le coït, dégoûtant, ne pouvait être associé à l'amour, si pur : donc, il n'était nul besoin de cultiver cette plante délicate pour entreprendre de baiser. Il est possible également que certains eussent senti que leur conquête éprouvait à leur égard un amour tel qu'il risquait de les happer. Dans ce cas, s'ils le souillaient ainsi d'immondices, c'était pour mieux s'en détacher.

Quoi qu'il en fût, cette méthode me répugne toujours autant. Car il m'arrive, oui, de rechercher un amour complémentaire. Mais, à commencer par la nécessité de ne pas trahir Jeanne, il existe une telle quantité de conditions à remplir que je ne suis encore jamais parvenu jusqu'à la « consommation ». En attendant, je me contente donc des pêches du jardin qui sont délicieuses, ma foi. Au diable l'avidité ! En tout cas, je n'envisage pas de voler quelques instants de bonheur éternel à une belle en feignant de lui apporter tout ce qu'elle attend d'un amoureux.

Quelle saveur un amour volé peut-il bien avoir ? En tout cas, moi je n'en veux pas.

Quand une beauté immatérielle m'éblouit - immatérielle certes, mais équipée de deux seins tièdes et palpitants, de la croupe d'une fringante pouliche et de lèvres généreuses -, quand je me damnerais pour elle, que la pleine puissance du souffle divin l'anime jusque dans le sommeil et que, pas plus qu'un rat d'égout, je n'entrevois la moindre chance de m'asseoir dans son carrosse, je me dis :« Si la beauté est bien d'essence divine, la malheureuse qui la porte n'est qu'un être comme moi, fragile humain exposé aux caries dentaires et à la diarrhée intestinale, dont l'âme tissée d'imperfections patauge dans le marais de l'existence, comme la mienne, et cherche une branche à laquelle se raccrocher ». Mon gars, cette divinité-là n'est pas une déesse : elle est fille de l'homme, elle a des goûts humains, elle se nourrit de pauvres petites choses humaines. Moi, tout autant qu'un autre, je peux les lui apporter, si je veux.

Doté de cette confiance en moi, je pourrais alors entreprendre sa conquête. Qui sait ? Peut-être aurai-je mes chances. Mais les choses en restent là, car je ne dispose que d'une vie déjà trop remplie.

Il est également vrai que, plus une femme est belle et plus elle est courtisée. Dans la cohorte des mâles qui se pressent à ses pieds, elle trouvera probablement l'homme, pour elle idéal, paré de toutes les qualités (et défauts !) qu'elle recherche. Mes chances paraissent vraiment bien minces. Et encore, ma condition pourrait être pire.

Suppose que... - J'ai oublié de t'avertir : considérant tout lecteur comme mon semblable et mon ami, je le tutoie - donc, suppose que les hommes d'une race supérieure existent, à l'instar de ce que prétendaient réaliser les nazis : quantité de belles leur accorderaient la préférence. Serait-ce de cette façon que l'Homme de Néanderthal a disparu de notre planète, supplanté par l'Homme Moderne, c'est-à-dire «nous-mêmes » ? Tant que les paléontologues n'ont pas résolu l'énigme, je peux bien risquer cette hypothèse pas plus fantaisiste qu'une autre.

Ceci dit, je me sens pareil à des filles plutôt laides : parmi leurs rares soupirants, elles choisissent le moins médiocre ou alors elles renoncent. Mais je n'avais pas encore acquis cette demi-sagesse et c'est heureux.

D'ailleurs, même si je n'avais d'yeux que pour les immortelles, il me semble bien que je n'avais pas plus de réussite auprès des autres, qu'elles fussent seulement jolies, ou bien sans beauté ni grâce, ou encore, par une cruelle farce du destin, accablées de laideur : toutes me saluaient de leur indifférence. Devant les succès de mes amis, j'étais à la fois vexé, déçu et perplexe.

Après maintes et maintes réflexions, je décidai de suivre pour une fois le conseil de la Bible, bien qu'aux yeux de mon curé je fusse devenu un mécréant. Me revinrent en mémoire des paroles étonnantes, tirées de l'Evangile selon saint Luc : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez... Regardez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'ont ni cellier ni grenier, et Dieu les nourrit... Aussi bien, cherchez son royaume et cela vous sera donné par surcroît »...

Littéralement, cette parabole est une incitation à la paresse ; et même, elle laisse entendre que Dieu pourrait nous vêtir, comme il le fait pour les oiseaux. Mais je ne pouvais croire que son auteur fût stupide. Aussi, je la traduisis à ma façon. Ce qui me plaisait, c'était : « cela vous sera donné par surcroît », et je l'entendis ainsi :« Si tu fais tout ce qu'il faut pour gagner l'immortalité, un jour ou l'autre les immortelles sauront bien le reconnaître. » Car, pour moi, le royaume de Dieu se trouvait plus sûrement sur la terre que dans un ciel de plus en plus hypothétique. Je préférai cette formule à « Fais ce que dois, advienne que pourra », bien balancée certes, mais qui laisse trop peu de place l'espoir.

Et c'est ainsi que je m'appliquai désormais à devenir « quelqu'un de bien ». Ami lecteur, tu sais comme moi que ce n'est pas facile. L'espoir me faisait quand même avancer petit à petit dans cette voie.

Je dois te dire que ce n'étaient pas mes poèmes enflammés qui détournaient de moi les belles, mais deux graves défauts. D'abord, une grande timidité : puisqu'elles étaient des fées, puisque je pensais n'avoir aucune chance de les séduire, quand je me trouvais en leur présence, je perdais toute confiance en moi et je bafouillais comme un débile profond. A ce handicap, j'en avais ajouté un autre, encore plus performant : non seulement, je paraissais idiot, mais mon esprit était constamment ailleurs, dans des contrées sombres où personne ne pouvait me rejoindre. Ainsi donc, bien souvent, je n'étais plus qu'une apparence d'homme plutôt sinistre.

De quelle manière en étais-je arrivé là ? De la même façon qu'on devient joueur, alcoolique ou esclave d'une quelconque drogue : insensiblement.

Gâté par mes succès scolaires, j'en voulais toujours plus. Ainsi m'était venu le désir insensé de tout maîtriser par la pensée. Tout, Tout, Tout !... Désir insensé qui devint folie dès qu'il se transforma en exigence. Donc, je voulais tout comprendre et, pour ce faire, je me trouvais constamment entraîné hors des frontières de la pensée raisonnable. Dans ce non-monde désolant, je me trouvais comme sur une mer déchaînée. Dès que je tentais de regagner le rivage et le pays des hommes, un courant m'entraînait vers le large. De ces années d'exil en terre sauvage, j'ai quand même rapporté quelque chose qui peut être précieux et dont je vous parlerai tout à l'heure. C'est un personnage fabuleux que mon esprit malade a laborieusement exhumé des fonds obscurs où il se débattait contre une méchante pieuvre : c'est ma grande amie Mômmanh.

« - Tout ceci est bien confus, me dis-tu.

- N'aie crainte, tout va s'éclairer. Bientôt, je t'expliquerai cette étrange maladie. Quand je t'aurai présenté ma chère Mômmanh, je te dirai comment elle a contribué à me faire ce cadeau empoisonné. »

Merci Mômmanh.

Pour l'instant, comprends que l'espèce de folie dont je souffrais éloignait de moi toute fille en quête d'amour. Donc, quand je m'appliquai à devenir « quelqu'un de bien », je commençai par m'arc-bouter pour repousser le démon qui s'était emparé de mon esprit. Dans un premier temps, en dépit d'efforts tels qu'ils me laissaient épuisé, je n'y parvins que très partiellement. Ce « petit peu » fut cependant suffisant pour me rendre à nouveau fréquentable.

Je n'ai pas fini de te parler de ce démon. Sans y penser, face à une maladie psychique dont j'ignorais la cause, j'avais réagi comme la plupart des chrétiens au fil des âges. Pour commencer, je l'avais appelé « démon ». Et pour l'expulser de mon corps, à la manière des exorcistes, je faisais appel à la violence physique : je m'infligeais des souffrances jusqu'à ce que la douleur soit plus forte que son emprise sur moi.

Alors, il s'en allait... Provisoirement !

Faut-il te préciser que je nourrissais alors beaucoup d'illusions. Je croyais encore que les belles, dépositaires de leur charnelle enveloppe d'immortalité, l'offriraient seulement à ceux qui en étaient dignes : les conquérants de l'infini, les meilleurs. La beauté, telle la face de Dieu, ne pouvait s'associer qu'à la bonté, celle qui protège toute existence jusqu'aux rives de l'espace-temps. Une mésaventure, une de plus, aurait pourtant dû m'éclairer, mais il faut croire que je refusais alors ce genre de révélation.

Après que j'eus pris la peine de faire réparer mes dents de devant, d'aller chez le coiffeur et de me vêtir convenablement, une jolie demoiselle s'était intéressée à moi ; elle m'avait fait comprendre qu'elle était prête, pour le moins, à faire un bout de chemin en ma compagnie et qu'elle aurait plaisir à m'offrir un ticket d'embarquement pour les étoiles. Jamais je n'avais été aussi près d'y arriver. Enfin j'allais baiser ! pour de bon !

Mais pourquoi donc, Bon Dieu ! Pourquoi lui avais-je alors annoncé mon intention de partir en Afrique porter la civilisation aux pauvres noirs qui vivaient dans l'obscurantisme ?

Elle m'avait répliqué :« Je ne suis pas une petite sœur des pauvres. » Pendant que j'étais sous le double coup de la surprise et de la contrariété, elle m'avait tendu ses lèvres et je les avais refusées. Pourtant, si elle avait su que, dans le tiers-monde, les coopérants français menaient la plupart du temps une vie de château, la jolie demoiselle m'aurait suivi et je n'aurais peut-être pas d'histoire à te raconter.

En tout cas, une jolie fille s'était intéressée à ma personne : j'en conclus que j'étais sur la bonne voie. Je continuai de m'évertuer à devenir « quelqu'un de bien » et j'eus bientôt ma récompense. Mon Amour tomba des nues comme la foudre.

Je n'en suis pas encore remis.

Depuis ce jour, Mon Amour m'a fait subir moult désenchantements. Malgré tout, mon esprit n'est pas totalement érodé de sa conviction originelle. Je ne crois plus au Père Noël, ni au dieu de mes parents, ni dans l'infaillibilité de saint Lénine, pas plus que dans celle de saint Mao, son cousin. Non, j'ai heureusement perdu la foi en tout cela. Mais je crois toujours que la beauté des femmes est d'essence divine, une illumination dans la pétaudière où nous nous débattons, un ange qui nous guide vers l'immortalité.

Tu crois que je m'exalte, que mon esprit fait des bulles qui montent et chatoient un bref instant avant de se dissoudre dans les rayons du soleil ?

C'est bien ce que tu penses ?

Alors, le moment est venu de te présenter Mômmanh.

Voici bien longtemps déjà, je me demandais comment la nature avait pu accoucher de cette infernale merveille que nous sommes : l'homme. J'ai exploré comme j'ai pu l'espace et le temps, surtout le temps. Et je l'ai découverte, dans les méandres et le tumulte de l'histoire, dans l'explosion de la vie, et même dans le big bang. Et je l'ai vue à l'œuvre, tâtonnant, multipliant les expériences, cherchant son chemin vers je ne sais quoi, si ce n'est que je le cherche aussi, toi de même, et qui est peut-être ce que nous appelons « bonheur ».

Celle que j'ai vue ne ressemble à rien de ce que nous connaissons : ni Dieu ni mortel, ni fort ni faible, ni esprit ni matière, ni conscient ni inconscient, ni être ni néant. Un gigantesque appel à être, tel le Cri du peintre Munch répercuté par tous les échos de l'univers, quelque chose ou quelqu'un qui serait un formidable appétit d'exister doué de pouvoirs mystérieux. Voilà le meilleur portrait que je puisse t'en faire. C'est une force obscure présente partout, en tout temps comme en tout lieu. Partout dans l'univers je rencontre ses avatars. J'en porte moi-même un, de ses avatars. Et toi mon ami, tu en portes un autre. Eh oui !

Quand il lui arrive quelque chose de bon, elle s'en souvient et désormais s'efforce de le répéter. Mais s'il lui arrive quelque chose de mauvais, elle s'en souvient de même et s'efforce toujours de l'éviter. C'est ainsi que tout au long des milliards d'années elle a constitué sa fantastique mémoire. Et malgré cette sagesse qui touche presque l'infini, elle a besoin de nos yeux pour voir, elle a besoin de notre conscience pour se connaître. Elle me conduit quand je suis dans l'embarras, si toutefois j'ai trouvé la force de lui parler humblement. Et, dans la mesure de mes infimes moyens, en scrutant le monde au-delà des multiples horizons, c'est moi qui éclaire son chemin. Elle est la grande aveugle et moi le petit paralytique.

Donc, je porte en moi un seul de ses milliards d'avatars. Ou bien, c'est lui qui me porte. Va savoir. En tout cas, comme tous les autres, celui-là, le mien, est chargé d'une immense mémoire. Il se souvient de tout ce qui a ému la lignée complète de mes ancêtres, en passant par les premiers primates, plusieurs millions d'années avant Lucy, jusqu'aux premières bactéries, quelques milliards d'années plus tôt, et en remontant même au-delà.

Elle me dit.

« - Que vois-tu ?
- Je vois la mer.
- Alors, approche, mon petit. Il y a plein de bonnes choses là. Approche, mais surtout, surtout ! n'y entre pas.
- Je sais : le milieu aquatique, lequel était bon pour mes ancêtres poissons ne l'est plus pour moi. D'accord. Les souvenirs périmés ont été effacés. Ou masqués ? Va savoir. En tout cas, sa mémoire vive guide mes pas. »

L'ai-je vue ? Ou bien ai-je cru la voir ? En tout cas, je ne connais personne d'autre qui l'ait ne serait-ce qu'aperçue. Mômmanh possède ce trait commun avec les apparitions de la Vierge dans la grotte de Lourdes : seule Bernadette les voyait. Ou avec les voix qui parlaient à Jeanne d'Arc : elle seule les entendait.

En tout cas, moi, je l'ai vue pour de vrai, deux fois. Tu n'es pas obligé de me croire, bien sûr. Eh oui, par deux fois elle m'est apparue.

La première, ce fut précisément dans cette montagne là, par un bel été, un an avant que Jeanne n'apparût à son tour. C'était au sortir d'un grand bois, à la lisière d'un alpage à l'herbe fleurie peuplé de vaches, en regardant vers les glaciers et les sommets enneigés.

Elle se dressait vers le ciel, debout contre la montagne. Elle avait le visage d'une jeune fille à l'âge immortel et elle me fixait de ses grands yeux chargés de lourds souvenirs. Avides de savoir aussi, ô combien ! Ses habits étaient de belle eau pure et fraîche, de verdure en tous genres et de fleurs assorties, de cascades et de rochers. Il y avait de la mer aussi, dans ses habits. Des lianes et des arbres centenaires lui faisaient des bras et des jambes. Dans ses mains d'agilité gracieuse, elle tenait..., elle tenait... Mais qu'est-ce qu'elle tenait donc ?... Dans ses mains d'habileté souriantes, elle tissait des baisers. Pour moi. Pour toi, si tu veux.

Ses grands yeux chargés de lourds souvenirs, ô combien avides de savoir, me fascinaient, me parlaient. Voilà ce que j'y lus :

« Cesse de faire le con. Tu m'entends ? Cherche-moi. Cherche après moi de toutes tes forces. Quand tu m'auras trouvée, je t'aiderai. »

Elle continua de me fixer intensément pendant un instant d'éternité, puis elle se fondit dans la nature.

De ce jour a commencé notre alliance. Depuis, elle n'a cessé de m'accompagner. C'est elle qui m'aide à tenir debout.

Elle ne sait pas tout, loin de là. Elle a fait des erreurs. Peut-être même que je suis une de ces erreurs. Mais elle a inventé pour moi la conscience libérée. (Cher ami, je t'expliquerai un peu plus loin).

« Que dis-je ? Pour moi ? Non : à travers moi. »

Et, en prime, elle m'a donné l'amour.

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